Liberté ; 29 septembre 2012 ; Imène Amokrane

"Je suis un enfant mondialisé"

Romancier, sociologue et politicien français d'origine algérienne, l’auteur était présent au Sila, vendredi pour dédicacer son dernier roman «Salam Ouessant», au stand Sedia. Dans cet entretien, il nous raconte sa vie d'émigré, ses expériences ainsi que le problème d'identité que vivent les français d'origine algérienne.

Liberté : Après la fable, «Dites-moi bonjour», vous revenez avec un nouveau roman écrit sur un ton de la légèreté mais qui raconte l’histoire d’un père qui décide de prendre des vacances avec ses deux filles, après un divorce. Parlez-nous un peu de ce nouveau roman.

Azouz Begag : C’est plus un roman qui raconte encore une nouvelle fois les questions de l’identité que se pose soit le père de ces deux enfants, soit les deux enfants, puisque leur maman est française et leur papa est algérien. Nous sommes au mois d’août et le père a décidé d’emmener ses deux filles en vacance dans une île en Bretagne, la bas au Nord, alors que les filles voulaient aller en Algérie. Elles voulaient retrouver les traces de l’identité de leur papa, et lui les amène sur les traces d’identité des bretons, des français. Et donc, ce voyage qu’on pourrait appeler un voyage initiatique, est la trame de ce roman. C’est un roman en plus qui se déroule dans une île. Une île ce n’est pas comme un continent, l’île est un endroit fermé par rapport au continent mais c’est un endroit ouvert à tous les vents, à toutes les visites, à toutes les altérations, à tous les gens qui débarquent sur les côtes de cette île. L’île d’un point de vue symbolique est un endroit intéressant pour parler des questions d’identités. C’est sur cette île d’Ouessant au Nord-Ouest de la France que ce papa a décidé d’emmener ses enfants pour quelques jours de vacances, et qu’il va rencontrer là, à la fin du livre un homme qui lui demande d’où il est. Il s’avère que ce vieil homme est un pied-noir, qui lui aussi en 1962 à l’indépendance de l’Algérie, est parti comme un fou. Il a quitté Alger, la Casbah ; il a quitté ses odeurs, ses amis. Il est parti en France, au coin le plus élevé au Nord, le plus éloigné de tout, tellement la douleur de quitter son pays de son enfance était dur pour lui. C’est un type qui m’a demandé à moi -enfant d’algériens mais né en France- dans son ile perdue où il pleuvait de lui raconter l’Algérie. Quarante ans qu’il n’était pas retourné là-bas. Moi je dis je ne la connais pas puisque je suis né à Lyon, je lui ai dit toi tu es algérien, je peux te raconter la ville de Lyon. Il m’a dit raconte moi quand même l’Algérie, et j’ai inventé une histoire avec des odeurs, avec des lumières, avec des gens sympas avec la mer, avec un bateau qui s’appelle le Ville d’Alger, le Ville-Marseille, ou alors le Tipasa. Et j’ai raconté l’Algérie à un homme qui connaissait l’Algérie mieux que moi, et qui en était éloigné, qui était blessé par tout ce qu’il avait perdu en Algérie. J’ai trouvé que ça valait le coup d’écrire un roman avec de l’émotion sur ses questions d’identité, à travers justement le personnage de deux enfants qui demandent alors que nous venons de quitter la ville de Lyon pour aller en Bretagne de quelle rive sommes-nous ? Est-ce que nous sommes algériens ? Est-ce que nous sommes français ? Où allons-nous? Alors que nous sommes sur le bateau qui traverse pour aller à l’île d’Ouessant. Où allons-nous ? Où va la vie, où va le monde ? Je ne sais pas. Il faut inventer au fur et à mesure que nous avançons. J’ai voulu écrire un roman sur cette question. C’est un roman aussi qui raconte une histoire d’amour, puisque quand on se marie, quand on fonde une famille on investit tout dans la famille. Et quand un jour vient le roman de la rupture et qu’il faut partir parce qu’il n’y a plus d’amour, parce qu’il y a eu une trahison alors ça devient un moment extrêmement douloureux, mais au même temps il y a un moment qui nous oblige à réfléchir. Réfléchir au sens de la vie, un jour en haut un jour en bas, un jour on a tout, un jour on a plus rien. Un jour on a la chance, «El Baraka», un jour on a la malchance. Voilà pourquoi c’est un roman qui raconte la légèreté de la vie.

Dans le roman, les filles préfèrent manifestement le soleil de l’Algérie (que vous appelez dans le roman «l’Eté africain») mais c’est sous le froid et la pluie (Ouessant) que le père emmène ses filles. Pourquoi plantez-vous le décor dans cette atmosphère ?

Parce que justement tous ces enfants d’émigrés algériens qui sont nés en France, se posent toujours des questions. Ils veulent savoir s’ils sont de «l’Eté africain» et de «la pluie bretonne». Ces deux filles là ont aussi mal vécues le divorce de leurs parents, qui sont déchirées entre le père et la mère. Qui se posent la question vers quelle rive s’accrocher, pour pouvoir continuer à exister en souffrant le moins possible.

L’identité, l’émigration sont aussi des thèmes qui traversent ce roman. Un parti pris de votre écriture ?

Toujours. Je pense que, à l’instar du livre de Homère «l’Odyssée» qui raconte «el Wahch», la nostalgie du retour au pays, du retour à Ithaque. Quand on regarde de près, quand on s’intéresse aux émigrés, on a aussi un condensé de toutes les douleurs, et toutes les joies de la vie humaine. Les gens qui partent d’un endroit pour aller dans un autre endroit pour assurer la survie de leurs enfants, je trouve qu’ils sont très courageux. Il ne faut pas oublier qu’il y a soixante ans nos parents ont quitté la Kabylie, les régions des hauts plateaux algériens, de Sétif, etc. et ils ne savaient même pas lire et écrire, ils n’étaient même pas francophones. Malgré tout, en 1946, 1947 ils sont partis, ils sont allés jusqu’à Alger, ils ont prit le bateau pour essayer d’aller de l’autre côté, la bas dans ce pays qu’on appelait «França», pour essayer de s’en sortir et donner une chance à leurs enfants. D’avoir un «Mousatkbal», un futur. Je trouve que ces gens sont beaucoup plus courageux que Ibn Batouta, Christophe Colombe, Magellan, Vasco de Gama, qui au  XVIe  siècle sont partis avec des bateaux pour découvrir la richesse de la planète. Parce que eux ils avaient les boussoles, les cartes, ils avaient des appareils pour mesurer et contrôler où ils allaient. Ils étaient courageux surtout qu’ils ont eu le privilège de donner naissance à un écrivain qui est devenu ministre. Je ne cesserais jamais de remercier mes parents pour tous les sacrifices qui ont consentis, toute la sagesse qu’ils ont investis dans la réussite de leurs enfants. Nous étions sept enfants dans notre famille, nés dans un bidonville crasseux à Lyon, et pourtant nous avons tous bien réussis notre vie. Nous avons rendus à nos parents, et à tout le peuple algérien, et à tout les migrants la dignité, la fierté qu’ils ont souvent perdu dans la guerre et «El Hedjra», la migration.

Le roman est chargé de métaphores et de phrases humoristique. Un jeu avec la langue française ?

Oui, c’est la politique que j’ai développé lorsque j’étais ministre de la promotion de l’égalité en France, à Paris, dans le gouvernement de Dominique de Villepin. Le premier élément dans la politique d’égalité des chances est, il faut le dire à tous les enfants, c’est la maitrise de la langue française. Un jour un professeur, quand j’avais douze ans treize ans  m’a dit, vous avez très bien réussi, vous parlez français mieux que les français, ça m’a fait plaisir. Car, aujourd’hui quand on maitrise la langue française très fortement les gens à qui vous parlez ne savent pas que vos parents sont pauvres qu’ils ne sont jamais allés à «l’écoule». Et moi aujourd’hui j’adore jouer avec la langue en fabriquant des images et des métaphores.

Vous employez aussi dans votre roman des termes anglais…
Oui (rire). J’emploie très souvent des termes anglais parce que je suis mondial, je suis un enfant mondialisé. Mes enfants aussi sont mondialisés, ils parlent l’arabe, le français, l’espagnol parfaitement, et ils peuvent travailler dans le monde entier. Il faut le plutôt possible se sentir à l’aise dans les langues étrangère, et pour ça il faut luter contre la peur. Très souvent ils ont peur d’être ridicules, et de mal prononcer. La maitrise des langues est un excellent moyen pour avoir un passeport pour faire le tour du monde, voilà ce que j’enseigne aujourd’hui quand je vais enseigner.

Qu’est ce qui a présidé le choix de votre titre ?

J’aime beaucoup le mot «Salam», la paix. Quand je suis allé à Ouessant j’allais chercher la paix. Ces deux mots je trouve, ils ont une très belle sonorité ensemble. C’est un couple mixte.

«Salam Ouessant» d’Azouz Begag. Roman. Editions Sedia. 600 DA.