Reporters ; 19 juillet 2014 ; Nordine Azzouz

Les éditions Sédia viennent de mettre dans les librairies et à la disposition des lecteurs en langue arabe le texte superbe d’Assia Djebar, Nulle part dans la maison de mon père. La traduction, confiée par cette « maison » au regretté Mohamed Yahiaten, s’inscrit dans sa politique visant à faire connaitre du public arabophone, en Algérie et à l’étranger, de grands auteurs algériens de langue française. Une belle, mais terrible aventure que nous restitue Nacéra Khiat, responsable éditorial.

Reporters : Quand, pour la première fois, les éditions Sedia ont eu l’idée de passer des textes d’Assia Djebar du français à l’arabe ?
Nacéra Khiat : Cela remonte à 2010. Ayant déjà traduit des écrivains algériens très connus et lus ces dernières années en Algérie et de plus en plus connus et traduits dans d’autres pays de cultures différentes, penser à traduire des sommités de la littérature algérienne était par la suite évident, surtout lorsque nous avons appris, en nous penchant sur la question, que des écrivains tels que Mohammed Dib et Assia Djebar n’avaient pas encore été traduits dans leur langue natale par des Algériens, car Mohammed Dib avait déjà été traduit par des Syriens depuis bien longtemps et des Libanais, mais jamais avant 2011 (Sedia) par des Algériens. Dans ce contexte, nous avons choisi le dernier livre qu’Assia Djebar a écrit, Nulle part dans la maison de mon père, que nous avions déjà réédité en Algérie en langue française dans notre collection Mosaïque. Cette grande dame mérite au moins ce petit geste qui n’a que trop tardé.

Pourquoi le choix d’une auteure comme Assia Djebar et pas quelqu’un d’autre ?
En réalité, Assia Djebar n’est pas la seule auteure traduite par Sedia, nous avions déjà traduit Malika Mokeddem et Nina Bouraoui en plus d’Anouar Benmalek, Yasmina Khadra et sept titres du grand monsieur Mohammed Dib. En procédant à la traduction d’écrivains algériens comment ne pas penser à Assia Djebar ?

Y a-t-il eu accord de l’auteure ?

Nous ne pouvons procéder à une traduction, une publication ou une réédition sans avoir l’accord de l’auteur ou de ses ayants droit. Dans le cas  d’un achat de droits auprès d’un autre éditeur, si ce dernier qui se charge d’avoir cet accord.
Nous avons évidemment eu l’accord d’Assia Djebar, mais nous n’avons pas traité directement avec elle, c’est avec son agent anglais que nous avons négocié les termes du contrat, c’est lui-même qui a fait par la suite le déplacement à Paris pour faire signer le contrat par Assia Djebar.

Comment le contact avec Mohamed Yahiaten s’est-il produit ? Et comment a-t-il travaillé et pendant combien de temps?

Le contact avec feu Mohamed Yahiatène a été établi sur la base d’une recommandation d’un de ses confrères, nous n’avions pas eu l’occasion de travailler avec lui auparavant et malheureusement il est décédé avant de voir sa traduction publiée. Notre relation avec feu Mohamed Yahiatène, ou avec tout autre traducteur, est définie par un contrat déterminant les conditions de travail et les obligations des deux parties. Sur la base des délais accordés, la traduction lui avait pris environ quatre mois de travail.

Lui avez-vous laissé carte blanche où est-ce que les éditions Sédia ont dû valider le texte traduit produit ?

Après lui avoir fourni le texte original de l’ouvrage, nous lui avons laissé le temps de le traduire. Il savait qu’il était en train de « réécrire » ce livre dans une autre langue, mais comme tout traducteur professionnel, il savait aussi qu’il avait l’obligation de rester fidèle au texte écrit à l’origine par Assia Djebar. Toutefois, nous ne pouvons publier une traduction sans la relire, la comparer au texte original et vérifier qu’il n’y ait pas d’erreurs d’ordre linguistique. Une traduction est une responsabilité aussi, la valider est une manière de l’assumer.

Un mot sur l’expérience de la traduction chez les éditions Sédia. Quel bilan faites-vous de cette expérience et pensez-vous avoir trouvé un répondant chez le lecteur arabophone ?
Notre expérience a débuté en 2007 avec le lancement de notre collection Mosaïque en langue arabe : Foussaifissa en traduisant plusieurs titres d’écrivains algériens installés en France comme Malika Mokeddem, Nina Bouraoui, Boualem Sansal, Anouar Benmalek et Yasmina Khadra, ainsi qu’un écrivain algérien publié en Algérie, Hamid Grine, et un Français, Philippe Claudel. Sept titres en tout ont été lancés en même temps et nous avons fait le nécessaire en matière de promotion pour les faire connaitre auprès du grand public. L’initiative était bonne, mais malheureusement la réalité était amère en constatant que les ouvrages traduits ne se vendaient pas et qu’on s’est retrouvé avec un stock immense.

Etait-ce un problème de distribution ?

Certes, mais peut-être aussi un problème de prix et de pouvoir d’achat. On répand souvent l’idée que les lecteurs arabophones sont habitués à de petits prix comparés aux lecteurs francophones. Non suivi des libraires ?… L’absence d’études, de données et de statistiques dans ce domaine ne nous permet pas de situer le problème de façon précise. Malgré cette première opération qui a été un « fiasco financier », les éditions Sedia ne voulaient pas laisser tomber la traduction.

A fonds perdus et pour emplir uniquement les rayons de bibliothèques publiques ?
Pour être honnête, nous avons été encouragés par le programme du ministère de la Culture qui propose un achat ferme de quelques titres. Cela nous aide beaucoup, car cela nous permet de minimiser les frais de ces traductions qui sont plus que considérables et nous permet aussi de continuer à concrétiser notre objectif : rapprocher les écrivains, surtout algériens, d’une autre catégorie de lecteurs et rendre leurs ouvrages « lisibles » par les lecteurs arabophones, non seulement en Algérie, mais aussi dans le Monde arabe. Nous comptons actuellement 30 titres entre BD, romans et essais traduits, dont le dernier est A quoi rêvent les loups. Une belle traduction d’Abdecelem Ikhlef d’un bel ouvrage de Yasmina Khadra.